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illustration 1 prix nobelIl y a un peu plus de 50 ans, le 4 janvier 1960, Albert Camus, prix Nobel de littérature (en 1957) disparaissait dans un accident de la route. La même année le poète Saint-John Perse, français comme Camus, obtenait à son tour le prix Nobel de littérature. Comme l’imposait une tradition corsetée, les deux récipiendaires se plièrent à l’obligation de prononcer un discours devant le comité Nobel et le roi de Suède (les 10 décembre 1957 et 1960).

 

La tentation est grande de saisir ce – très ténu – prétexte pour rapprocher ces deux interventions. Il a toujours été de bon ton de brocarder les discours officiels : solennels, empesés, codifiés et engoncés dans la pompe, ils ne seraient qu’un pénible exercice de remerciements, ennuyeux pour l’auditeur et humiliant pour l’auteur.

 

Et si cette appréciation en apparence si « moderne », si « libérée », n’était que l’expression inversée du conformisme social ? Si cette opinion ne révélait qu’un terrorisme intellectuel pseudo libérateur, voire parfois un aigre sentiment de jalousie ?

 

Car c’est faire peu de cas du génie de la langue, et de ceux qui l’utilisent à ce niveau de rigueur. Camus, Saint-John Perse (et d’autres), ont sublimé cet exercice obligé pour faire entendre l’étrange singularité de leur voix (et de leur voie). Les honneurs insignes n’ont pas pu aliéner ces hommes libres, confortant à la tribune ainsi offerte leur exigence et leur dignité.

 

illustration 2 prix nobel

Ces deux discours diffèrent par leur ton et leur thème bien sûr, comme différaient les orateurs. Mais tous les deux portent témoignage de l’incandescence d’une pensée, et de l’indispensable incarnation de l’art dans la réalité du monde. Ils parlent entre leurs lignes du refus de la médiocrité (dans les formes, les attitudes ou les idées), et de l’abjection du matérialisme comme seul exutoire à nos besoins d’absolu. Ils imposent une extension au champ de nos consciences engourdies.

 

Saint-John Perse débute sur un audacieux parallèle entre le poète et le scientifique, car « …la grande aventure poétique ne le cède en rien aux ouvertures dramatiques de la science moderne ». Pour lui, par delà leurs modes d’investigation, savant et poète font oeuvre commune : améliorer notre appréhension du réel, cette connaissance qui fonde notre vouloir vivre. Comme Nietzsche l’avait déjà pressenti, le poète comme le savant interrogent le mystère de notre présence au monde pour secourir nos peurs : « Ne crains pas, ni ne doute – car le doute est stérile et la crainte est servile ».

 

Albert Camus, sans jamais prononcer ce mot que sa modestie lui interdisait et que son époque honnissait, nous parle de morale. La morale de l’artiste, témoin engagé de – et dans – son temps : « L’artiste se forge dans cet aller retour perpétuel de lui aux autres, à mi-chemin de la beauté dont il ne peut se passer et de la communauté à laquelle il ne peut s’arracher. C’est pourquoi les vrais artistes ne méprisent rien ; ils s’obligent à comprendre au lieu de juger ».

 

Les discours se croisent, et ces deux hommes se répondent au delà de la mort.

 

Denis LLAVORI

 

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