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Le 4 janvier 1960 à quarante-six ans, Albert Camus disparaissait dans un accident de la route : au mois de janvier prochain, il y aura de cela 50 ans. Nous assisterons inévitablement à une floraison (hivernale !) de publications tendant à commémorer cette funeste date. L’offensive éditoriale a d’ailleurs déjà commencé, avec la parution, le 7 octobre dernier des « derniers jours de la vie d’Albert Camus » (José Lenzini, Ed. Actes Sud).

 

C’est l’occasion (ou le prétexte, mais a-t-on besoin d’un prétexte pour lire Camus ?) de relire « Le premier homme », ce manuscrit inachevé retrouvé dans sa sacoche le jour de l’accident, et qui ne fût publié qu’en 1994.

 

Le personnage principal, Jacques Cormery, est un algérois, issu d’un milieu très modeste, qui part pour la France avec l’intention de retrouver les traces de son père (sépulture, témoignages) disparu au cours du 1er conflit mondial. Ce récit des origines a évidemment un fort caractère autobiographique, qui aurait peut-être disparu dans la version finale (nous ne le saurons jamais). Mais dans le carnet de notes qui a été retrouvé accompagnant le manuscrit, l’auteur avait indiqué : « En somme, je vais parler de ceux que j’aimais ».

 

Ce livre est pour moi le plus profond, le plus beau, le plus émouvant des textes de Camus. Il relate son enfance pauvre dans le quartier Belcourt à Alger, entre sa grand-mère et sa mère veuve, illettrée, mais combien aimante, droite, fière et courageuse. Il raconte cet instituteur qui l’a soutenu, poussé et aimé lui aussi : c’est bien sûr la figure de Louis Germain, à qui Camus envoya une lettre éperdue de reconnaissance, le 19 novembre 1957, alors qu’il venait d’apprendre qu’il était lauréat du prix Nobel de littérature. Cette vie « à égale distance de la misère et du soleil » est infiniment pauvre, mais éternellement digne, noble, reconnaissante et surtout libre. Cette même liberté, cette dignité que Sartre et Beauvoir lui jalousaient, et lui feront payer avec cruauté. Mais entre un couple de petits bourgeois étriqués, confits dans des certitudes moisies, abrités derrière l’arrogance universitaire et la morgue des élites, et cet homme authentique, seul et pur, l’incompréhension était inévitable. Albert Camus incarnait un idéal de vie que Sartre ne parvenait probablement pas à imaginer.

 

La narration est toute empreinte de pudeur, de reconnaissance et de consentement à ce qui advient. D’innocence aussi sans doute, et de cette superficialité méditerranéenne (très présente également dans les « Noces à Tipasa ») qui est – Nietzsche le savait bien – la vraie profondeur. C’est le témoignage d’un homme qui a su habiter le réel en communion physique avec lui, retrouvant ce rapport, perdu depuis Empédocle et les présocratiques, de complicité fusionnelle avec son environnement. Ce mélange de douleur, de lucidité et de joie authentique est la seule façon d’être au monde sans le secours d’un dieu.

  

Albert Camus, Le Premier homme, éd. Gallimard, 1994

 

Denis LLAVORI

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