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archivesdec2014Une doublure pour le service militaire :

le contrat de remplacement de Guillaume Allègre (1845)

 

La Première Guerre mondiale a ceci de particulier qu’elle a vu se côtoyer sur les champs de bataille des hommes de toutes provenances et de tous métiers, y compris instituteurs et hommes de religion. Mais ce mode de conscription quasi exhaustif n’a pas toujours eu cours.

 

 

Tirant son origine de l’ost féodal, ce qu’on appelle le « service militaire » apparaît à la Révolution. Auparavant, la défense du royaume était confiée à des professionnels, ou à des hommes désignés par leur communauté. Mais l’idée de faire appel aux jeunes gens atteignant un âge fixé est, comparée au temps depuis lequel l’homme défend son territoire, très récente.

 

La Révolution laisse le pays désemparé face à ses voisins : l’Europe coalisée fait front contre cette France semant le trouble, les officiers de l’armée, issus de la noblesse, ont fui, et nombreux sont les déserteurs parmi leurs troupes. Il est donc fait appel aux volontaires, aux citoyens libérés du joug royal, afin de former l’armée de la Nation. Les circonstances étant ce qu’elles sont, le volontariat fonctionne mal et l’on décide en 1793 d’employer la méthode forte : la réquisition. Nommé « Levée des 300 000 », cet enrôlement touche tous les hommes de 18 à 25 ans, exceptés ceux ayant charge de famille et, si elle permet de renforcer les effectifs, est très mal vécu par le peuple. Malgré les révoltes, on s’achemine vers un service militaire régulier, universel et obligatoire, qui est mis en place par la loi Jourdan en 1798. Chaque commune est alors chargée d’établir une liste des conscrits qui sont répartis par classe et serviront au moins 5 ans.

 

Deux modulations sont cependant introduites en 1804, par un décret impérial de Napoléon Ier : le système du tirage au sort et celui du remplacement. Désormais, le nombre du contingent est fixé chaque année et les conscrits sont tirés au sort parmi les jeunes gens d’une même classe. Cependant, les désignés préférant passer leur tour pouvaient, si leurs moyens financiers le leur permettaient, louer les services d’un remplaçant. C’est cette solution qu’a choisi Guillaume Allègre, conscrit de la classe 1844.

 

Né en 1824, Guillaume Allègre est cultivateur, originaire de Chaliers dans le canton de Ruynes en Margeride. Il fait le déplacement jusqu’à Aurillac pour recourir aux services de Jean Ducros, agent d’affaires, qui lui propose un remplaçant pour le service militaire. Il semble que ce jeune homme n’ait pas la bourse vide : il était possible de trouver soi-même un remplaçant et de contracter avec lui devant notaire. Or, M. Allègre préfère bénéficier des garanties d’une agence spécialisée, quitte à sacrifier quelques centaines de francs. Bien que le contrat soit passé le 27 juillet 1845, le texte indique que Guillaume Allègre ne sait pas encore si son numéro, le 39, sera retenu, ni s’il ne sera pas réformé par le conseil de révision. Le contrat fonctionne alors comme une assurance : pour 1 330 F, le jeune homme est certain qu’il sera remplacé en cas d’appel sous les drapeaux, et même si ce premier remplaçant est réformé ou déserte. En revanche, s’il n’est finalement pas enrôlé, Guillaume Allègre ne sera remboursé que de 800 F, le reste constituant la prime de Jean Ducros. Signalons qu’à cette époque, un ouvrier agricole aurait dû accumuler un an et demi de salaire pour parvenir à réunir la somme de 1330 F. Cela dit, la durée du service étant, depuis la loi Soult de 1832, de 7 ans, on comprend que certains conscrits n’hésitent pas à recourir à un remplaçant.

 

Le contrat n’exempte pas Guillaume Allègre de toute démarche. Au contraire, charge à lui de présenter sa « doublure » au conseil de révision. Créée elle aussi par le décret de 1804, cette formation réunit le maire de la commune ou son adjoint, un officier de recrutement, un officier de gendarmerie et un docteur. Elle convoque et examine tous les conscrits et détermine si leur condition physique leur permet de servir. La taille minimum semble aujourd’hui très peu élevée, puisqu’elle est fixée à 1 m 544.

 

Guillaume Allègre aura eu raison d’être prévoyant : au tirage au sort, il fait partie des 19 recrues du canton de Ruynes. Nous n’avons pas pour cette date de registre matricule, mais la liste du contingent nous informe que Jean Ducros a rempli sa partie du contrat : Guillaume est remplacé par un Aveyronnais, Henry Guibert, de quatre ans son aîné et dépassant la toise du conseil de révision… d’à peine 3 cm.

 

 

ADC 1 J 1010

 

 

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