soeursdesangJean-Marie Machado

Le chant du monde (harmonia mundi), 2007

Soeurs de sang

 

Le samedi 8 mars dernier, à 20h45, dans le cadre de son festival «Jazz en ville», Aurillac programmait en son théâtre le pianiste et compositeur de jazz Jean-Marie Machado.

 

Pour cette soirée à la tête d’un sextet particulièrement inspiré (3 souffleurs [trompette, trombone et sax], une contrebasse, une batterie et le compositeur au piano), il a embrasé comme étoupe son public au feu de son avant-dernier album : Andalucia. Ses adaptations de Manuel De Falla, Isaac Albéniz ou Enrique Granados, comme ses propres compositions nous ont offert des ambiances musicales envoûtantes, dansantes ou chaloupantes, mais toujours évocatrices des parfums, des paysages, des fiertés et des langueurs andalous.

 

Cette précieuse soirée nous donne l’occasion d’un petit regard amoureux sur son dernier (double !) album, «Soeurs de sang» (Irmãs de sangue), paru en fin d’année dernière. Changement d’atmosphère, mais principe identique : inspiré par les univers sonores à forte personnalité, Machado se les approprie pour nous les restituer miraculeusement transformés...en jazz !

 

Ici, ce sont les chants nostalgiques d’Amalia Rodrigues, âme portugaise du fado, que ce subtil compositeur a intégré au jazz. Il les confrontent aux chants d’une autre icône de la douleur chantée : Billie Holiday. La «saudade» et le «blues», face à face évident, tant tous deux sont l’expression de cette même attente mélancolique, immobile et inutile, de cette même impression d’abandon sur la terre, de ce même sentiment d’intranquillité, comme l’exprimait le poète portugais Fernando Pessoa. Les deux soeurs de sang chantent à travers les adaptations de Machado ce sentiment tragique de la vie, fait d’un mélange de consentement à ce qui advient et de renoncement, si consubstantiel de l’âme méditerranéenne.

 

Accompagné de ses deux complices Jacques Mahieux à la batterie et Jean-Philippe Viret à la contrebasse, ou seul à son piano, Jean-Marie Machado nous nimbe de cette ambiance si paradoxale, si désespérée qu’elle donne envie de vivre encore...car elle déniche la beauté sous les pleurs. Sur la pochette de son album, le compositeur met d’ailleurs en exergue cette phrase du poète japonais Okakura Kakuzô : «les fleurs sont les larmes des étoiles .

 

Machado est un formidable créateur d’ambiances sonores, un improvisateur inspiré, un compositeur inventif et un pianiste raffiné. S’ils ont échappé (Ouf !) aux marchands de soupe musicale, tous ces talents n’ont pas échappé aux créateurs exigeants, aux amateurs de qualité. Et notre homme est donc régulièrement sollicité - au-delà de son propre parcours - pour compléter de ses atmosphères musicales des contes sonores pour enfants. Jetez donc une oreille (ou les deux) sur ses deux collaborations avec l’auteur Jean-Jacques Fdida («l’oiseau de vérité» et «Peau d’âne», chez Didier jeunesse). Vous l’aurez jetée, mais elle ne sera pas perdue. Et tant que vous y êtes, jetez-y aussi un oeil (ou les deux...), car les illustrations qui les accompagnent (Régis Lejonc et Nathalie Novi) sont splendides.

 

Denis Llavori