raboliot

Raboliot
Ed. Grasset, 1984

de Maurice Genevoix

 

Le Raboliot de Genevoix, publié pour la première fois en 1925, avait à l'époque obtenu le prix Goncourt. Son auteur s'inscrivait dans une veine littéraire d'inspiration bucolique, qui, de Colette à Giono, magnifiait le retour à la nature, et la proximité des humains et des animaux. Pourtant le propos est tout autre.

 

Pierre Fouques, alias Raboliot (le « lapin de garenne », en langue solognote), braconne depuis toujours pour améliorer l'ordinaire de sa femme Sandrine et de ses enfants. Il fait partie, dans cette société archaïque et corsetée de privilèges, des perdants, des exclus, des laissés pour compte. Et pourtant il est fier, digne, et il se bat. Mais les gardes-chasse, garants de l'ordre établi, le haïssent et veulent sa perte : ils mettent à ses trousses le gendarme Bourrel, sorte de Javert, rigide, obstiné, et convaincu d'incarner l'ordre et le droit.

 

La lutte entre les deux hommes sera impitoyable, cruelle et sans concession. Les autres personnages du roman, l'aubergiste Trochut, Tancogne, Volat, Sarcelote, ou encore « la Souris » Delphine, joueront dans cette traque un rôle tour à tour complice, ambigu ou hostile.

 

Raboliot finit par cristalliser toutes les haines, les peurs et les jalousies de cette micro-société.
Acculé (comme une bête sauvage...) et piégé, il prend conscience que ce sont la veulerie, la trahison et la jalousie qui expliquent les actes de ceux qui l'entourent.

 

Mais si Bourrel rappelle Javert, Raboliot n'est pas Jean Valjean : il lui aura manqué, pour être tiré vers la grâce, le pardon et la rédemption, de rencontrer son Monseigneur Myriel. Alors Raboliot va tuer le gendarme, son âme damnée, dans un acte - paradoxal - d'ultime rébellion et de renoncement.

 

On ne lit plus guère Maurice Genevoix (1890-1980) aujourd'hui. Est-ce pour relancer l'intérêt que la télévision publique, cette fois-ci dans ses missions de service public, a proposé le 27 mars dernier (de surcroît « à une heure de grande écoute », comme on dit) une superbe adaptation de ce roman [Jean-daniel Verhaeghe, 2007] ? Thierry Frémont y fait une composition éblouissante et émouvante, et l'atmosphère générale du texte y est fort bien restituée.

 

Mais Maurice Genevoix a également (simple effet du hasard) une autre actualité : on se souvient que la France a salué récemment la disparition de son dernier « Poilu », et, à travers lui, honoré la mémoire de tous ses enfants tombés au cours du premier conflit mondial. C'est une bonne occasion pour relire « Ceux de 14 », titre générique de quatre témoignages de guerre du sous-lieutenant de réserve Maurice Genevoix. Il existe fort peu de récits plus forts, plus dignes - on a envie d'oser : plus beaux – de cette grande épreuve collective que fut la première guerre mondiale.

 

Denis LLAVORI